Alexander Zharovsky est sur toute la lèvres à Montréal. Mais le coach de la pépite du Canadien tente déjà de leramener sur terre
À Montréal, on commence à connaître son nom. Alexander Zharovsky, 18 ans, la trouvaille russe du Canadien, s’impose lentement comme le plus grand espoir offensif du club depuis Ivan Demidov.
Avec près d’un point par match en KHL, il électrise les partisans. Mais pendant que la planète hockey s’emballe, son entraîneur à Oufa, Viktor Kozlov, freine net l’euphorie.
Et son message est brutal... et sans aucune pitié :
« Il reçoit tellement d’attention qu’il pense que ce qu’il fait est suffisant. »
Cette phrase, livrée à Nicolas Cloutier de TVA Sports, a glacé bien des esprits à Montréal. Kozlov ne veut pas d’une autre rock star russe. Il veut un joueur qui saigne pour progresser. Son ton est sec, mais derrière les mots, on devine une mission : casser le hype avant qu’il ne casse le joueur.
L’ancien de la LNH veut le “désintoxiquer” du buzz autour de lui.
Viktor Kozlov n’est pas un obscur entraîneur de la KHL. Ancien 6ᵉ choix au total des Sharks de San Jose, il a joué plus de 1 000 matchs dans la LNH. Il sait ce que c’est que d’avoir le talent sans la structure. Il sait aussi que le pire poison pour un jeune, c’est la gloire avant la maturité.
Dans son entrevue, il l’a martelé :
« Je m’attends à plus de lui. Il est censé arriver plus fort après l’été. Les résultats n’arrivent pas par magie. »
Ce n’est pas une attaque. C’est une stratégie. Kozlov voit le feu, mais veut d’abord forger l’acier. Car Zharovsky, à 18 ans, est déjà traité comme un phénomène.
Les médias russes s’enflamment. Les comptes KHL le surnomment “le nouveau Kaprizov”. Et à Montréal, on se prend à rêver de le voir débarquer plus tôt que prévu.
Mais l’entraîneur d’Oufa a tenu à rappeler à tout le monde : non, Zharovsky ne sera pas à Montréal avant 2027.
Le coach est bienveillant… mais il est fatigué du cirque autour de son prodige.
Kozlov n’est pas cruel. Il protège sa pépite. Il aime le jeune, le trouve « réceptif », « intelligent », « travailleur ». Mais il voit aussi le cirque médiatique se refermer sur lui comme un piège.
« Tout le monde dans le personnel d’entraîneurs et dans l’équipe essaie de lui rappeler que ce n’est pas assez. »
Il se méfie du discours triomphal venu de Montréal : celui qui transforme chaque promesse en messie. Kozlov se souvient du sort d’Ivan Demidov à Saint-Pétersbourg, martyrisé par son coach Roman Rotenberg. La différence ? Kozlov, lui, ne cherche pas à humilier. Il cherche à encadrer.
« C’est un enfant, dit-il. Il doit devenir un homme. Il a l’équilibre, mais pas encore les muscles ni l’endurance. »
Il sait que la KHL est cruelle pour les jeunes. Il sait aussi que Zharovsky, même génial, ne survivra pas sans discipline.
Jeudi dernier, contre Magnitogorsk, Zharovsky a connu un match fou. Deux pénalités sur ses deux premières présences. Kozlov l’a cloué au banc pour toute la deuxième période. Un message clair : « tu veux jouer dans la LNH ? Commence par jouer juste ici. »
Mais en troisième, l’entraîneur lui a redonné une chance. Zharovsky est revenu et… a créé deux buts.
« Je trouve intéressant qu’il puisse m’aider quand je l’envoie à froid dans un match », a soufflé Kozlov.
Ce passage-éclair dit tout. Le gamin a du génie. Il apprend vite. Mais il n’est pas encore prêt pour 60 minutes d’effort soutenu. Kozlov le sait ; Montréal doit l’accepter.
Le Salavat Yulaev d’Oufa, c’est une équipe jeune et talentueuse, mais la risée de la KHL.
« Grossièrement, on n’a pas d’argent, alors il faut faire jouer les jeunes », avoue sans détour Kozlov.
Le club a dû libérer son meilleur joueur, Josh Leivo, pour raisons financières. Résultat : Zharovsky, 18 ans, se retrouve avec des responsabilités qu’il n’aurait jamais eues ailleurs. Et il livre.
Six points en huit matchs, une vision exceptionnelle, une capacité rare à créer quelque chose à chaque touche de rondelle.
Mais pour Kozlov, l’objectif est clair : le ralentir pour mieux le construire.
Zharovsky n’est pas Demidov. Ni un clone de Kaprizov. C’est un autre genre de Russe. Moins explosif, plus fluide, plus cérébral.
« Il bat les joueurs avec ses mains, observe Kozlov. Il perçoit les changements de direction avant les autres. Il a un regard différent sur la glace. Vous appelez ça le QI hockey, en Amérique du Nord. »
Mais là où Demidov avait déjà un corps d’homme, Zharovsky, lui, est encore en construction. Ses jambes, son souffle, son phyisique : tout doit mûrir. Kozlov l’a répété : il ne s’agit pas de technique, mais de physique. Quand il sera complet, il sera redoutable.
À la fin de l’entrevue, Kozlov s’est permis un clin d’œil.
« Quand il aura atteint son apogée, Montréal va le prendre. Vous à Montréal, vous prenez toujours les bons joueurs au bon moment », a-t-il dit en riant.
Derrière la blague, on comprend tous le message : le coach sait que le Canadien surveille tout. Jeff Gorton et Kent Hughes n’ont pas repêché Zharovsky pour l’oublier en Russie. Ils le laissent mijoter dans le bon environnement. Et Kozlov sait qu’à l’heure actuelle, ce jeune-là est mieux à Oufa qu’à Laval.
Le Russe a même laissé glisser un détail :
« S’il avait eu Demidov dans son équipe, il l’aurait fait jouer 20 minutes par match. »
C’est dire la confiance qu’il accorde à ce nouveau duo d’or : Demidov au CH, Zharovsky en Russie, deux destins qui se croisent.
On sent que Kozlov joue avec le feu. Il veut préserver le diamant, mais il le taille à coups de pierre. Et ça marche. Zharovsky apprend à gérer l’adversité, à répondre après une mise au banc, à comprendre que le talent ne suffit pas.
Le coach l’aime, mais il ne l’idolâtre pas. Il veut lui imposer la rigueur que le hockey russe a longtemps négligée.
Pendant que Kozlov essaie de calmer la tempête médiatique, à Montréal, l’excitation grimpe. Les fans comparent déjà les courbes : Demidov à Saint-Pétersbourg, Zharovsky à Oufa, même âge, mêmes statistiques, même ADN. Et si le CH avait volé deux génies russes coup sur coup ?
Surtout qu'on parle de deux amis d'enfance.
Mais la différence, c’est que Zharovsky ne viendra pas avant 2027. Et ça, Kozlov y tient. Il l’a répété : pas question d’expédier un adolescent dans la jungle montréalaise.
Et honnêtement ? Il a raison.
Au fond, la mise au point de Viktor Kozlov n’est pas une réprimande. C’est un avertissement à Montréal. Il dit : « Ne détruisez pas ce qu’on bâtit. »
Parce qu’à Oufa, entre deux coupures budgétaires, entre des vétérans de 39 ans et des gamins de 18, Kozlov fabrique un joueur complet. Pas un prodige médiatique, un vrai joueur de LNH.
Le contrat de Zharovsky avec Ufa se termine en 2027. Deux ans pour devenir un homme, deux ans pour polir un joyau brut. Et quand il débarquera à Montréal, il sera prêt. Physiquement, mentalement, techniquement.
Kozlov le sait. Hughes le sait. Et maintenant, tout le monde à Montréal le comprend : il ne faut pas précipiter la prochaine star.
D’ici là, le Salavat Yulaev d’Oufa comptera sur son jeune prodige pour survivre à la tempête économique. Et à Montréal, on comptera les jours.
Parce qu’un jour, Alexander Zharovsky prendra le même avion que Demidov. Et cette fois, il n’y aura pas de doute : le Canadien tiendra enfin son duo russe de rêve.