Martin St-Louis croyait avoir tourné la page. Il croyait que le dossier Arber Xhekaj, le Shérif, le marketing, les burgers, les commandites, les photos publicitaires et le cirque médiatique, tout ça, c’était du passé. Il se trompait.
Car le destin a une étrange façon de revenir frapper là où ça fait le plus mal, et cette fois, la bombe n’a pas explosé sur la glace… mais à la table du déjeuner.
Depuis hier, l’image tourne partout sur les réseaux sociaux : une photo publiée par la mère des frères Xhekaj, Simona, montrant le repas matinal que ses deux fils avalent après leurs entraînements.
Deux assiettes débordantes : œufs, viande rouge, foie, bacon, fromage, saumon fumé, fruits, concombres. Un festin de plus de 1200 calories, digne d’un film de culturistes.
Une image anodine pour le commun des mortels, mais un cauchemar pour Martin St-Louis. Parce que derrière la photo familiale, il voit le spectre du passé ressurgir : celui de la célébrité hors glace, des contrats publicitaires, et d’un joueur qui attire l’attention pour autre chose que son jeu défensif. Arber Xhekaj, depuis sa métamorphose physique spectaculaire cet été, n’est plus seulement un joueur robuste : il est devenu une marque.
Sculpté, musclé, charismatique, il incarne ce mélange rare de force brute et de discipline qui fascine le public montréalais.
Et maintenant que les médias anglophones parlent de son régime à base de viande maigre et d’abats (coeurs, foies, cervelle), que les nutritionnistes s’en inspirent et que les restaurants flairent l’opportunité d’une campagne marketing, Martin St-Louis voit rouge.
Car il l’a déjà vécu. Et il sait où mène ce genre d’attention. "Le fantôme du berger" Retour en 2024. Arber Xhekaj, alors au sommet de sa popularité, lançait le Shérif Burger avec la chaîne La Belle et La Bœuf.
Une opération marketing légère, sympathique, mais vécue comme une trahison à l’interne. Le CH est partenaire officiel de La Cage, propriété du groupe Molson. Et voilà que l’un de ses joueurs se retrouve ambassadeur d’un restaurant concurrent, tout en exploitant un surnom que Martin St-Louis déteste.
Le coach, obsédé par le contrôle et la cohérence de son vestiaire, n’avait jamais digéré ce qu’il considérait comme une indiscipline symbolique.
Il n’a pas participé à la promotion, il n’a pas félicité le joueur, et il a subtilement commencé à réduire son rôle la saison dernière.
Le message était clair : ici, on joue au hockey, pas au porte-parole de fast-food. Xhekaj l'a compris et a eu un été de feu à l'entraînement au point de forcer Martin St-Louis à lui donner la place de 6e défenseur, alors que Jayden Struble se retrouve dans les estrades.
Voilà que le scénario se répète. Mais cette fois, l’histoire a changé d’arôme : ce n’est plus le burger du shérif, c’est le déjeuner du guerrier. Et tout le Québec en parle. Une mère entraîneurs. devenue icöne du fitness, Simona Xhekaj, la mère d’Arber et Florian, est devenue malgré elle un personnage fascinant.
Ancienne volleyeuse de niveau national en Tchécoslovaquie, aujourd’hui mécanicienne chez Costco, elle incarne la résilience et la rigueur.
Elle a élevé ses fils dans l’effort, la discipline et le respect du travail. Elle s’entraîne encore chaque matin avant de partir pour le garage. Et c’est elle qui a conçu le programme nutritionnel qui a transformé ses deux garçons en machines de hockey
. Quand Arber raconte à The Gazette que sa mère a préparé son plan d’alimentation, on sent la fierté dans sa voix :
« Une diète stricte. Un programme de nutrition que ma mère a établi pour moi et mon frère. Beaucoup de viande maigre, du foie, des cœurs de poulet, du poisson, des œufs. Peu de glucides. C’est comme ça qu’on devient sec. Je me sens bien. »
Et cette phrase-là, pour Martin St-Louis, sonne comme un avertissement. Parce qu’elle contient tout ce qu’il redoute : un joueur qui devient un phénomène médiatique pour ce qu’il mange, pour ce qu’il affiche, pour l’image qu’il projette, pas pour ses replis défensifs ou son différentiel. L
Dès que la photo du déjeuner familial a commencé à circuler, plusieurs agences marketing ont flairé l’or. À Montréal, à Brossard, dans les bureaux de Cora, de Ben & Florentine, de Allô! Mon Coco, les discussions se sont-elles enclenchées? Qui obtiendra le Shérif du déjeuner ? Arber Xhekaj, le gars qui mange foie et steak à 8 heures du matin, c’est une publicité vivante pour la discipline, l'éthique de travail et la force tranquille.
Et dans une ville comme Montréal, où l’image compte autant que la performance, ce genre de profil devient rapidement une mine d’or.
Chaque marque veut s’y associer : les chaînes de restaurants pour vendre le rêve du petit-déjeuner du champion, les centres de conditionnement physique pour s’approprier son corps sculpté, les marques de suppléments protéinés pour capitaliser sur sa diète carnivore.
On ne parle plus d’un simple joueur de hockey, mais d’une figure aspirante, d’un symbole d’authenticité brute, d’un gars qui incarne à la fois la sueur du garage et la discipline d’un athlète professionnel.
Et c’est précisément ce que Martin St-Louis déteste. Parce que chaque fois qu’un joueur dépasse le cadre du vestiaire, qu’il attire la lumière pour ce qu’il représente plutôt que pour ce qu’il exécute sur la glace, le coach perd une parcelle de contrôle
. Il l’a vécu avec le burger, il le revit avec le déjeuner. Ce qui devait être une simple photo familiale est en train de devenir une machine à commandites, un phénomène viral qui échappe totalement à son emprise.
Dans l’esprit de St-Louis, ces dérives marketing détournent les joueurs de leur mission première : gagner. Il craint que l’attention médiatique transforme Xhekaj en caricature, qu’elle réveille l’ancien démon du « Shérif », celui qu’il a tenté d’étouffer à coups de conférences de presse et de phrases assassines.
Il avait dit froidement aux journalistes :
« Vous l’appelez le shérif, mais personne ne le surnomme comme ça dans notre vestiaire. » Une manière de rappeler qu’à ses yeux, le hockey est un métier, pas un cirque.
Mais voilà que le cirque revient, plus fort que jamais, sous une autre forme : celle d’un joueur exemplaire physiquement, mais dont la simple existence médiatique devient un affront à l’autorité du coach.
Arber Xhekaj, pour sa part, ne cherche pas la guerre. Il parle peu, s’entraîne beaucoup, reste discret. Mais malgré lui, il est redevenu une vedette.
Son nouveau corps sec et massif, ses 236 livres de muscle pur, sa vitesse améliorée, tout ça alimente le narratif du joueur en ascension, du défenseur « sculpté par la souffrance ».
Et les journalistes s’en régalent. Chaque phrase qu’il lâche sur sa diète devient un titre, chaque photo torse nu dans le vestiaire fait le tour du web.
Même Juraj Slafkovsky, en voyant son coéquipier sans chandail, a lâché une blague restée célèbre : « Mets-toi une chemise ! » Une plaisanterie qui en dit long sur l’attention qu’attire Xhekaj à l’interne.
Le problème, c’est que cette popularité médiatique ne se limite plus au sport. C’est une culture. Les jeunes partisans le copient, les influenceurs fitness en parlent, les pages Instagram de nutrition partagent ses repas comme des exemples à suivre.
Et pour un entraîneur comme Martin St-Louis, qui prêche l’humilité et l’uniformité, c’est une honte. Il veut des soldats, pas des marques personnelles.
Depuis la fameuse publicité du festival LASSO, où le mot « shérif » avait refait surface dans une campagne officielle du Canadien, déjà perçue comme une trahison par St-Louis, la relation entre les deux hommes s’était refroidie. Le coach avait juré que le dossier était clos, mais ceux qui le connaissent savent : St-Louis n’oublie jamais. Il accumule. Il observe. Et il attend.
Alors quand la nouvelle vague médiatique autour du « déjeuner Xhekaj » a éclaté, le coach a dû avoir mal au coeur.
Non pas contre le joueur, car Xhekaj n’a rien promu lui-même, mais contre le climat qu’il génère. L’idée que l’équipe devienne à nouveau le théâtre d’un culte individuel le met hors de lui.
Et cette fois, ce n’est pas seulement une histoire de burger ou de slogan : c’est un symbole plus dangereux encore, celui de la famille Xhekaj qui, à travers une simple photo, a réussi à remettre leur nom au centre de la conversation.
Les Xhekaj, c’est une famille tissée serrée. Le père, immigrant du Kosovo, a élevé ses fils dans la rudesse et le travail manuel. La mère, Simona, incarne la discipline et la rigueur. Ces valeurs, Arber les porte dans ses veines.
Mais ce même code de fierté entre en collision avec la philosophie de Martin St-Louis. Le coach veut être la figure d’autorité unique. Il n’aime pas les dynamiques familiales envahissantes, les parents qui deviennent des figures publiques. Et ici, tout ce qui entoure le clan Xhekaj (les repas, les photos, les médias) renforce cette indépendance.
Pour St-Louis, c’est une menace symbolique : la culture du Canadien est censée absorber les personnalités, pas les mettre en vitrine. Or, chaque fois que la famille Xhekaj publie quelque chose, c’est toute la machine médiatique qui s’emballe. Et chaque fois, St-Louis est forcé de répondre à des questions qu’il juge inutiles.
Si Arber Xhekaj continue à bien jouer, la situation restera sous contrôle. Mais la moindre erreur, la moindre baisse de régime, et le dossier médiatique ressurgira : « Le Shérif est-il distrait par la publicité ? »
C’est exactement le scénario que redoute le coach. Car il sait qu’à Montréal, la moindre anecdote peut devenir une tempête.
Déjà, des chroniqueurs ironisent sur les “protéines de trop”. D’autres parlent de son régime comme d’une « marque en devenir ».
On va voir des restaurateurs offrir publiquement à Xhekaj de « revisiter son déjeuner » dans leurs établissements. Tout cela amuse le public, mais irrite profondément Martin St-Louis. Pour lui, ce genre de dérapage marketing peut affecter un vestiaire.
Il n’a pas tort. Dans les années passées, le Canadien a souvent vu des jeunes joueurs s’enflammer sous les projecteurs avant d’avoir réellement consolidé leur rôle. Le coach le sait : la route vers la stabilité passe par la discrétion. Et Xhekaj, même involontairement, attire trop la lumière.
Qu’il le veuille ou non, Arber est redevenu une figure publique incontournable. Il n’a plus besoin de porter le chapeau du Shérif pour faire parler de lui. Il lui suffit d’une photo de bacon et d’œufs pour faire trembler Brossard.
Et pour Martin St-Louis, c’est peut-être ça, le pire cauchemar. Parce qu’on peut contrôler un joueur. On peut contrôler un vestiaire. Mais on ne peut pas contrôler une marque.
Et désormais, Arber Xhekaj n’est plus seulement un défenseur du Canadien de Montréal. Il est un symbole. Et ce symbole, qu’il le veuille ou non, est plus grand que le système de Martin St-Louis.