Il y a des moments, dans le monde des médias, où un seul texte remet tout en perspective.
Et ce fut le cas ce dimanche, lorsque La Presse a publié un texte bouleversant signé… Réjean Tremblay.
Oui, Réjean Tremblay. L’ancien baron des sports à La Presse, le génie derrière Lance et Compte, l'un des plus grands auteurs et journalistes que le Québec a connus:
La Presse l'appelé... pour parler de la mort de Ken Dryden. Ou plutôt, pour parler de Ken Dryden... et sa vie hors-norme...
Le titre? Le grand Ken ordinaire.
Le résultat? Un texte... extraordinaire. Un chef-d’œuvre journalistique. Un moment de grâce médiatique comme on n’en lit plus.
Ce n’est pas une chronique, c’est une véritable commotion sociale. Tremblay ne s’est pas contenté de rendre hommage à une légende.
Il a raconté l’homme, dans sa complexité, sa frugalité, sa rigueur, son génie. Il a ramené à la surface des anecdotes que lui seul pouvait raconter, parce qu’il était là.
Dans les avions. Dans les hôtels. Dans les coulisses de la plus grande dynastie de l’histoire du Canadien de Montréal. Ce texte-là, aucun journaliste actuel de La Presse ne pouvait l’écrire.
Et c’est là que les dirigeants de La Presse devraient avoir un "reality-check".
Pourquoi aucun journaliste actuel de La Presse ne pouvait-il écrire un tel texte? Parce qu’ils ne l’ont pas vécu. Parce qu’ils n’étaient pas là. Parce qu’ils ne sont pas dans le vestiaire, dans l’avion, dans l’hôtel. Parce qu’ils n’ont pas ce vécu-là. Et surtout, parce qu’ils ne cherchent plus à l’avoir.
Aujourd’hui, les Simon-Olivier Lorange, Alexandre Pratt ou Richard Labbé passent la moitié de leur temps à se plaindre des médias alternatifs qui, selon eux, leur volent la publicité, leur piquent leur job, minent leur statut.
Pendant qu’ils se lamentent dans des conférences ou des tables rondes sur l’avenir du journalisme, ils oublient le plus important : écrire avec leurs tripes.
Ils oublient que leur mission n’est pas de protéger leur place à la table, mais de toucher le lecteur. De le faire vibrer. De lui raconter des histoires vraies, vécues, incarnées. Pendant qu’ils dénoncent les Hockey30, les DansLesCoulisses, les médias indépendants, le marché continue d’évoluer… et eux, restent figés.
Pendant ce temps, Réjean Tremblay accepte de s'asseoir dans le studio de Hockey30 et de dévoiler SA vérité médiatique:
Et c’est là que cette légende du Québec, du haut de ses 81 ans, vient leur rappeler c’est quoi, le vrai journalisme. Ce n’est pas une colonne bien balancée sur le powerplay du Canadien. Ce n’est pas une analyse tiède d’une statistique avancée. C’est l’émotion pure, le vécu, la proximité.
Tandis que la section des sports à La Presse est devenue aussi fade qu’un plateau de sandwichs d’hôpital, Réjean Tremblay raconte comment Dryden conservait ses sandwichs Air Canada dans son attaché-case pour pouvoir étudier le droit en paix, pendant que Lafleur et Savard jouaient aux cartes ou faisaient la fête.
Pendant que Richard Labbé relaye des citations en zone mixte, Tremblay nous fait vivre la détresse de Dryden en avion, après qu’un journaliste eut révélé son salaire. Il nous fait sentir le malaise, les regards échangés, la tension entre Dryden et Lafleur. Il ne rapporte pas, il raconte.
Et pendant que ces journalistes subventionnés n’ont plus aucune pression, bien au chaud grâce aux crédits d’impôt et à l’argent public, Réjean, lui, écrit comme si c’était la dernière fois...
C’est ça qui dérange le plus. Ces journalistes-là ne cherchent même plus à aller chercher du lectorat. Pourquoi le feraient-ils?
Leur emploi est protégé. Leur salaire subventionné. La Presse, comme organisme à but non lucratif, est financée par l’État, par vos taxes, par des crédits d’impôt généreux allant jusqu’à 26 250 $ par journaliste.
Souvenons-nous des faits. En 2018, Power Corporation a cédé La Presse à une fiducie sans but lucratif. Paul Desmarais a injecté 50 millions pour lancer le modèle, mais ce capital de départ n’était qu’une bouée de sauvetage temporaire.
Dès le départ, La Presse a revendiqué le statut d’organisme d’utilité sociale pour avoir accès à des programmes de soutien philanthropiques et surtout à l’argent public.
Puis, le gouvernement Legault a mis en place une mesure qui donne des frissons dans le dos : un crédit d’impôt remboursable de 35 % sur les salaires des journalistes, plafonné à 75 000 $.
Une aide permanente qui profite à environ 1200 journalistes au Québec, dont ceux de La Presse. Ajoutons à cela des mesures spéciales d’Investissement Québec, des dons déductibles d’impôt, et des placements publicitaires gouvernementaux réorientés pour aider le média à tenir debout.
Soyons clairs : sans ces appuis massifs, La Presse aurait coulé comme tant d’autres journaux traditionnels.
Résultat? Il n’y a plus aucune urgence de performance. Plus aucune volonté de se dépasser. On produit du contenu propre, neutre, bien rédigé… et totalement inoffensif. Beige. Inodore. Incolore.
Et pourtant, que s’est-il passé ce dimanche? Le texte de Réjean Tremblay a fait exploser le lectorat. Parce que les gens veulent ressentir quelque chose. Ils veulent qu’on leur raconte Dryden comme si on y était.
Pas une chronique plate en “mode hommage” écrite à distance. Ils veulent la voix de quelqu’un qui a vécu cette époque, pas un article Wikipédia avec une citation de Serge Savard en bonus.
Si La Presse était encore le bastion du journalisme qu’elle prétend être, elle aurait formé une relève capable de faire ce que Tremblay a fait cette semaine.
Elle aurait investi dans des journalistes incarnés, proches de l’action, capables de raconter l’humain derrière le sport. Mais elle a préféré la sécurité. Les structures. Le conformisme. Et l'ennui...
Pendant que les journalistes actuels s’enferment dans leur tour d’ivoire, protégés par la fiducie Desmarais et les crédits d’impôt de Québec et Ottawa, le Québec médiatique s’enflamme pour un texte d’une légende qui n'aurait jamais dû quitter La Presse.
La question est simple : pourquoi, avec tout l’argent public investi, n’a-t-on plus droit à ce niveau de journalisme tous les jours? Pourquoi n’y a-t-il plus d’émotion, plus de vécu, plus de feu?
Parce que La Presse ne vit plus pour convaincre. Elle vit pour survivre.
Et tant qu’à payer pour un média avec nos taxes, on est en droit de demander mieux que l'analyse des trios de Martin St-Louis. On est en droit d’exiger du courage, de l’émotion, et du journalisme incarné.
Comme Réjean Tremblay vient de le faire. Une fois de plus. À lui seul, il nous a rappelé ce qu’on avait perdu.
Et ce que La Presse ne retrouve plus.
Car au fond, c’est ça la faillite réelle de La Presse.
Pas seulement une faillite économique...
Une faillite journalistique...