Les signaux s’accumulent et, à ce stade, il faudrait être aveugle pour ne pas les voir : Bell Média a déjà gagné la bataille de la sous-licence francophone avec Rogers.
Ce n’est pas encore écrit noir sur blanc, mais dans les faits, la partie est jouée. TVA Sports, éjectée du processus, n’a jamais vraiment été considérée par Rogers pour le prochain cycle 2026-2038.
L’empire de Pierre Karl Péladeau, après avoir englouti entre 230 et 300 millions de dollars dans sa chaîne sportive, ne pèse plus rien dans les négociations.
Rogers, qui a renouvelé son contrat national exclusif avec la LNH pour 11 milliards de dollars sur 12 ans, ne cherche plus à partager par charité.
Il cherche à rentabiliser. Et pour rentabiliser, il fallait un partenaire solide, capable d’intégrer le hockey dans un écosystème numérique moderne.
Ce partenaire, c’est Bell. Avec RDS et surtout Crave, la stratégie est claire : garder la télé traditionnelle vivante tout en basculant le cœur des droits vers la plateforme de streaming.
Crave est devenu le bras armé de Bell. Déjà renforcé par HBO, STARZ et des productions originales québécoises, il sera désormais la vitrine du hockey.
Les séries documentaires comme La Reconstruction n’étaient pas de simples produits télévisés : c’étaient des avertissements. Bell préparait le terrain.
À TVA Sports, le conclusion est brutale : plus aucune mention dans les communiqués de Rogers, aucune rumeur d’inclusion, aucune clause de survie.
L’analyste Adam Shine, de la Banque Nationale, l’a annoncé : Québecor « ne fait pas partie des plans de Rogers ».
La vérité crue : TVA est éjectée.
Le lancement précipité d’une chaîne YouTube en 2025 n'a trompé personne. C’est une manœuvre de dernier recours, un cri de désespoir.
On ne remplace pas des centaines de millions de pertes par quelques vidéos gratuites en ligne. L’iceberg est en vue, et le Titanic TVA Sports fonce droit dessus.
Certains croyaient que Bell allait sacrifier Noovo, son réseau généraliste déficitaire (plus de 50 millions de pertes en 2024).
Faux. Bell n’a jamais eu l’intention de débrancher Noovo. Au contraire, comme l’a dit Suzane Landry (big boss de Bell au Québec), c’est un complément stratégique à Crave. L’une nourrit l’autre. Et ensemble, elles offrent à Bell une machine de guerre incomparable.
Quand Suzane Landry, grande patronne de Bell Média au Québec, prend la parole, son ton est tout sauf alarmiste.
Oui, elle rappelle que l’industrie souffre, que Noovo perd des dizaines de millions chaque année, et que les plateformes américaines "siphonnent" la publicité locale.
Mais jamais elle ne sombre dans l'agressivité, ni dans la posture de victime. Elle parle d’« équité réglementaire », d’un cadre à ajuster, mais elle ne réclame pas un chèque en blanc du gouvernement.
Son discours est froid, posé, sage. Loin des envolées dramatiques de Pierre Karl Péladeau qui, à chaque micro, martèle un nouveau wake-up call et dénonce un prétendu complot des GAFAM.
La patronne de Bell Média sait trop bien que l'avenir est dans le "streaming", contrairement à PKP.
RDS diffusera encore des matchs régionaux du Canadien. Mais l’avenir? Il est sur Crave. Et Rogers, en cherchant un partenaire de poids, a trouvé exactement ce qu’il voulait : un géant intégré, capable de produire, diffuser et rentabiliser sans dépendre d’un seul canal.
Soyons clairs : pour le public, ce virage sera coûteux. Les amateurs de hockey devront sortir leur carte de crédit plus souvent. Un abonnement à RDS ne suffira plus. Il faudra aussi s’abonner à Crave, peut-être à Amazon Prime, peut-être à d’autres plateformes encore. Le hockey ne sera plus accessible comme avant.
Pendant ce temps, TVA Sports agonise, Rogers encaisse, et Bell se prépare à régner.
Et c’est là que Péladeau ne fait plus de sens.
Il réclame des crédits d’impôt élargis, des réformes du Fonds des médias, des subventions pour le journalisme télévisé… alors qu’en 2023, sa rémunération personnelle dépassait 4,9 millions de dollars, en hausse de 57 % par rapport à l’année précédente, en grande partie grâce à des options d’achat d’actions.
Il a aussi perçu 423 000 $ pour avoir assuré temporairement la direction de Groupe TVA.
En 2024, sa rémunération totale a grimpé à 20,44 millions de dollars, un chiffre astronomique, majoritairement composé de compensations variables (primes, options, actions).
Et que dire de la rémunération des autres membres de la famille?
Jean B. Péladeau, vice-président à la convergence opérationnelle chez Québecor Média, a reçu 1,9 M$ en 2023,
Érik Péladeau, administrateur de la société, a perçu 920 700 $, dont 761 000 $ sous forme de rente de retraite en reconnaissance de ses 32 années de service.
Comment justifier que, pendant que des centaines d’employés de TVA perdent leur emploi, leurs dirigeants s’augmentent de plus de 100 %?
La rémunération de PKP marque une explosion à chaque année et s’inscrit dans une tendance de rémunération très généreuse de la part de l’entreprise, malgré les coupes massives et les pertes colossales chez TVA Sports.
Le fait que la majorité de cette rémunération soit variable, principalement sous forme d’actions ou de primes, prouvent une structure de rémunération hautement alignée sur les intérêts de l’actionnariat, au détriment du bien-être des employés.
Comment tendre la main à l’État, réclamer l’argent du contribuable, tout en se récompensant soi-même d’échecs industriels comme TVA Sports?
Car tout le monde le sait : la vraie plaie de Québecor, ce n’est pas « Les chanteurs masqués », ni « Indéfendable ». Ces émissions font de l’argent.
La vraie plaie, c’est TVA Sports. Un canal qui a perdu les droits de la LNH, qui n’a plus aucune perspective de survie après 2026, et qui continue pourtant d’engloutir des dizaines de millions par an.
Voilà la vérité que Péladeau n’assume jamais directement. Voilà pourquoi ses appels au secours sonnent faux.
Lors de l’assemblée annuelle des actionnaires du Groupe TVA, en mai dernier à Montréal, Pierre Karl Péladeau avait envoyé un message brutalement clair.
« Il ne faudrait pas s’étonner que TVA Sports cesse ses activités », a-t-il prévenu.
Devant ses investisseurs, il a rappelé que l’empire avait déjà englouti plus de 230 millions de dollars dans la chaîne sportive et lancé un avertissement sans détour :
« Après avoir investi plus de 230 millions de dollars, comme nous le disons en latin : don’t throw good money after bad ! (Arrêtez les dégâts !) ».
Plus encore, le PDG de Québecor a admis que le modèle était mort-né :
« Nous pouvons le dire dès maintenant : TVA Sports n’aura pas les moyens ni les modèles économiques pour payer les montants colossaux que la Ligue nationale de hockey demande pour les droits nationaux de diffusion des matchs de hockey, selon ce que nous comprenons de l’entente récemment intervenue entre Rogers/Sportsnet et la direction de la LNH ».
À l’époque, ces propos avaient choqué par leur franchise. Mais aujourd’hui, à la lumière de l’avis de la Banque Nationale confirmant que Québecor n'est pas inclus dans les plans de Rogers pour la sous-licence francophone, ils résonnent comme le dernier clou dans le cercueil.
Et dans ce fiasco national, une vérité s’impose : même sans confirmation officielle, Bell a déjà gagné...