Le hockey a la mémoire longue, surtout à Montréal.
Et parfois, les mêmes erreurs reviennent si souvent qu’elles cessent d’être des coïncidences.
Martin St-Louis en est là. Le même schéma, les mêmes phrases, la même prudence excessive avec les jeunes joueurs offensifs qui, ailleurs, explosent dès qu’on leur donne un peu d’air.
Le dernier exemple? Emil Heineman.
Trois buts, une passe, en six matchs avec les Islanders de New York. Un joueur transformé.
L’ailier gauche suédois, jadis relégué à un rôle de figurant par St-Louis, est aujourd’hui sur le premier trio de Patrick Roy, aux côtés de Bo Horvat et Jonathan Drouin.
Et pas juste en mode décoratif : il joue, il crée, il finit les jeux. Roy lui a confié la deuxième unité du jeu de puissance, et même quelques mises en jeu offensives, un signe de confiance rare pour un joueur que Montréal n’a jamais su évaluer.
Patrick Roy a vu ce que St-Louis n’a pas voulu voir.
C’est presque une "joke".
À Montréal, Heineman était un extra, un joueur qu’on insérait pour “remplir une chaise”. Il était "pogné" sur le 4e trio. Pire encore, St-Louis l'envoyait parfois dans les gradins au profit de Michael Pezzetta.
À Long Island, Patrick Roy le traite comme un vrai joueur de hockey : un marqueur, un contributeur, un attaquant capable d’ouvrir la glace.
« Heineman, c’est un gars qui comprend le tempo, qui joue avec ses instincts », a glissé Roy après la victoire contre les Sharks, où le Suédois a encore marqué.
Un compliment banal? Pas vraiment. C’est tout le contraire de ce que Martin St-Louis disait de lui à Montréal.
Sous St-Louis, Heineman devait “gagner ses batailles”, “être plus constant sans la rondelle”, “apprendre à jouer le bon côté du jeu”.
On ne lui faisait pas confiance. On lui demandait de prouver qu’il méritait de jouer, pas de jouer pour prouver qu’il méritait sa place.
Et c’est précisément cette philosophie défensive, cette culture du frein à main, qui empêche le Canadien d’avancer offensivement.
Ce qui rend le cas Heineman encore plus troublant, c’est que la même histoire se rejoue sous nos yeux avec Zachary Bolduc.
À Saint-Louis, le jeune Québécois flamboyait. Fin de saison dernière et début de saison cette année : 16 buts à ses 29 derniers matchs, première unité de power play, rythme de 45 buts sur 82 matchs.
Jim Montgomery lui faisait confiance, il lui parlait comme à un buteur. À Montréal, on lui parle comme à un espoir.
Résultat : Bolduc joue 11 minutes par match. Quatrième trio. Aucun rythme. Un tir par soir. Le regard vide sur le banc.
Et Martin St-Louis, fidèle à son discours, parle encore “d’ajustements”, “d’apprentissage du système”.
Le système, justement, c’est le problème.
Un système qui broie le talent offensif.
Martin St-Louis, l’ancien joueur, incarnait tout ce que le coach d’aujourd’hui semble vouloir étouffer : l’instinct, la lecture du jeu, la liberté créative.
Quand il jouait, il détestait qu’on le tienne en laisse. Aujourd’hui, il impose la laisse à ses propres Demidov et Bolduc.
C’est devenu un paradoxe presque cruel : celui qui devait libérer les jeunes talents est en train de les enfermer dans un modèle qu’il aurait lui-même rejeté.
Le discours est rodé, toujours le même.
« Il faut apprendre à jouer sans la rondelle. »
« Il faut mériter ses minutes. »
« Il faut être constant. »
Mais quand un joueur comme Heineman montre ailleurs que son jeu avec la rondelle est justement sa force, on comprend que le problème n’est pas dans le joueur, il est dans la philosophie du banc.
Et pendant qu’Heineman brille à Long Island, qu’on étouffe Bolduc sur un quatrième trio, Ivan Demidov découvre, à son tour, le revers du rêve montréalais.
Utilisé à peine douze minutes contre Buffalo, le prodige russe ronge son frein. Pas de première unité de power play, pas de rôle offensif majeur, juste quelques miettes de jeu à cinq contre cinq.
Et quand les journalistes demandent pourquoi, la réponse de St-Louis tombe, mécanique :
« Suzuki joue à la même position sur l'avantage numérique. »
Comme si l’idée d’adapter le système à un talent unique était devenue impossible.
Ce n’est pas la première fois. L’an dernier, le coach avait attendu une blessure à Mike Matheson pour oser mettre Lane Hutson sur la première vague d’avantage numérique.
Et le résultat avait été immédiat : explosion offensive, créativité retrouvée, Centre Bell debout.
Toujours cette même peur : celle de trop déranger l’ordre établi.
Pendant ce temps, à Long Island, Patrick Roy fait exactement le contraire.
Heineman n’est pas un nom sur une liste, c’est un outil dans un plan de match.
Roy lui donne la glace, l’encourage à lancer, lui parle comme à un adulte du vestiaire.
Le résultat? Trois buts, une passe, et un joueur qui reprend confiance dans ce qu’il fait de mieux : attaquer.
Pas besoin de grandes conférences de presse, pas besoin de le “protéger” de lui-même.
Roy fait ce qu’un coach intelligent fait : il mise sur les forces de son joueur, pas sur ses faiblesses.
Et c’est là que Montréal échoue depuis trois ans.
On ne cherche plus à maximiser le potentiel. On cherche à minimiser le risque.
Les chiffres ne mentent pas
Heineman à Long Island : 4 points en 6 matchs, +3, 2 buts sur le power play.
Bolduc à Montréal : 0 point sur ses quatre derniers matchs, 11 minutes de glace par match.
Demidov : 12 minutes 27 secondes à Buffalo, 30 secondes de jeu de puissance.
Ouch.
Ce n’est pas qu’une question de patience.
C’est une question de culture.
Une culture qui préfère l’effort à l’inspiration, le respect du plan à la lecture du jeu.
Et qui finit par transformer les créateurs en figurants.
Le plus ironique, c’est que le prix à payer pour aller chercher Noah Dobson, c’était justement Heineman (avec les choix 16 et 17).
Le CH avait offert Owen Beck, mais Mathieu Darche et Patrick Roy voulait Heineman.
Et ils ont eu raison.
Parce qu’en quelques semaines, le jeune Suédois s’est imposé comme un véritable joueur de top-6.
Un joueur que Montréal aurait bien aimé avoir dans son alignement actuel, où la production offensive dépend presque entièrement de Caufield et Suzuki.
Kent Hughes a payé le bon prix, mais Martin St-Louis, lui, a perdu un autre jeune à cause de son incapacité à les développer.
Et si Dobson est brillant, on réalise quand même qu'un marqueur renaît sous les yeux d’un autre coach québécois, alors que St-Louis le traitait comme un joueur de 4e trio.
Tout cela soulève une question plus large.
Et si le vrai problème, à Montréal, ce n’était pas le talent, mais la peur de le laisser s’exprimer?
Si St-Louis n’était plus le joueur libre qu’il prétendait être, mais un entraîneur enfermé dans ses certitudes?
Et pendant qu’il nous offre ses leçon de vie à deux cennes, les artistes quittent la scène.
Heineman aurait pu être un pilier du deuxième trio à Montréal.
Bolduc pourrait devenir ce buteur local qu’on attend depuis 20 ans.
Demidov pourrait électriser la ville.
Mais pour ça, il aurait fallu qu’on leur donne la clé, pas une laisse.
Patrick Roy, lui, n’a pas peur de ses jeunes.
Il les pousse, il les responsabilise, mais surtout, il leur fait confiance.
Parfois, on imagine Demidov avec Roy... et on a des frissons dans le dos...
