La gratitude dans le sport : Kent Hughes marche sur des œufs

La gratitude dans le sport : Kent Hughes marche sur des œufs

Par André Soueidan le 2025-10-19

Le Canadien de Montréal n’a pas perdu de temps pour identifier sa paire défensive numéro un cette saison.

Noah Dobson et Mike Matheson affrontent les meilleurs trios adverses soir après soir, et ils le font avec une constance désarmante.

Quand les gros noms sautent sur la glace, c’est cette paire-là qui est envoyée au front.

Et jusqu’ici, le résultat est spectaculaire.

Dobson impose son gabarit, son QI hockey et sa relance chirurgicale.

Matheson, lui, patine avec une aisance qui donne l’impression qu’il est encore dans la fleur de ses 20 ans.

Ensemble, ils absorbent les minutes lourdes, étouffent les menaces, bloquent les entrées de territoire, et gardent le CH dans le match même quand l’offensive ne suit pas.

Bref, c’est un duo de confiance. Un duo fiable. Un duo de série.

Mais dans les coulisses, pendant que ces deux défenseurs font le travail sale avec élégance, un autre dossier commence à chauffer dans le bureau de Kent Hughes.

Et c’est là que la réalité du sport professionnel rattrape même les plus loyaux.

Parce que oui, Matheson mérite un nouveau contrat.

Mais non, ça ne sera pas aussi simple qu’un “merci pour tout”.

Mike Matheson n’a jamais été un problème pour personne. Il ne fait pas de bruit. Il ne revendique rien. Il joue. Il patine. Il se pointe à tous les soirs avec le même calme olympien. Et quand on lui demande de changer de rôle — comme cette saison, où l’arrivée de Noah Dobson et l’éclosion de Lane Hutson l’ont déplacé en désavantage numérique — il accepte, sans hésiter.

« Tout ce qu’on lui a demandé, ce gars-là l’a fait. »

— Jeff Gorton, cette semaine

Mais c’est justement là que ça devient délicat.

Un joueur comme ça, tu veux le garder.

Mais un joueur comme ça… tu sais aussi qu’il va peut-être accepter moins.

Et dans une ligue où la gestion de la masse salariale est devenue un exercice chirurgical, les DG le savent. Ils voient la faille.

La loyauté d’un vétéran devient alors une opportunité de rabais.

Pas par méchanceté. Par logique. Par planification.

Offrir un contrat à Mike Matheson, ce n’est pas seulement une affaire de chiffres.

C’est une question de message. De culture. D’exemple.

Parce que tout le monde dans le vestiaire le voit.

Tout le monde sait que Matheson joue blessé s’il faut, mange les minutes, ferme sa gueule et protège les jeunes avec professionnalisme.

Il n’est pas du genre à demander une entrevue à Renaud Lavoie pour forcer une signature. Il fait son travail. Point.

Mais justement : si ce gars-là ne se fait pas récompenser, qu’est-ce que tu dis aux autres?

Et si tu le surpayes pour lui dire merci?

Tu risques de débalancer tout ton cap structurel.

Tu ne veux pas créer de précédent.

C’est là que Kent Hughes marche sur des œufs. Il doit honorer la loyauté sans la surpayer, valoriser le leadership sans hypothéquer l’avenir. C’est une ligne mince. Très mince.

Ce n’est pas la première fois que le Canadien se retrouve dans une situation où il faut choisir entre le mérite passé et la logique future.

On a tous encore en tête le contrat signé par Marc Bergevin avec Brendan Gallagher.

En 2020, Bergevin avait fait ce que tout le monde voulait : récompenser le cœur et l’âme de l’équipe. Gallagher venait de donner tout ce qu’il avait pendant les pires années du club, jouant chaque match comme si c’était une guerre de tranchées, le visage dans la grille, les épaules amochées, les doigts fracturés.

Et il avait eu son contrat : 6 ans, 6,5 M$ par saison.

Un prix juste? À l’époque, peut-être.

Mais aujourd’hui? C’est un boulet.

Pourquoi? Parce que la LNH ne paie pas pour l’héritage. Elle paie pour ce que tu vas faire demain.

Et c’est là que le parallèle avec Mike Matheson devient brûlant.

Matheson, comme Gallagher, représente ce que tu veux que tes jeunes deviennent : fiables, humbles, impliqués, constants.

Mais Matheson, comme Gallagher, approche la trentaine bien entamée.

Et même si son corps est en meilleur état, même si son patin est encore fluide comme l’eau, la pente descendante est inévitable.

Alors que fait Kent Hughes?

Est-ce qu’il veut revivre le scénario Gallagher, version défensive?

Ou est-ce qu’il trace une ligne claire : merci pour les services rendus, mais on ne surpaiera pas la loyauté.

Mike Matheson mérite d’être respecté. Il mérite d’être écouté.

Mais dans une organisation qui vise la durabilité, le respect se mesure aussi dans la façon dont on gère les contrats.

Kent Hughes ne peut pas refaire l’erreur Gallagher.

Il ne peut pas donner 7,5 M$ sur 6 ou 7 ans juste parce que le joueur a “été là quand c’était tough”.

Mais il ne peut pas non plus manquer de reconnaissance.

Ce contrat-là sera un test.

Un test de leadership.

Un test de cohérence.

Un test d’humanité dans une ligue qui en manque parfois.

Si Matheson accepte un montant légèrement en dessous de sa pleine valeur, il fera une fleur au Canadien.

Mais ce sera à l’organisation de lui rendre la pareille… autrement.

Et c’est là que la gratitude prend tout son sens : pas dans le chèque, mais dans la façon dont tu traites ceux qui t’ont aidé à sortir de l’ombre.