Jean-Charles Lajoie n’a pas toujours raison. Il s’emporte souvent, se contredit parfois, mais ce lundi soir-là, en direct à TVA Sports, il a dit tout haut ce que des milliers de partisans du Canadien de Montréal pensent tout bas : Martin St-Louis a complètement perdu le fil avec Zachary Bolduc.
Son utilisation, ou plutôt son sous-emploi, est devenue le symbole d’un malaise grandissant à Montréal, celui d’un entraîneur qui dit valoriser le talent, mais qui le bride systématiquement lorsqu’il s’exprime hors du moule.
Car ce qu’on a vu contre Buffalo n’a plus rien d’une stratégie logique. Le Canadien a signé une belle victoire collective, certes, mais Bolduc, encore une fois, a été sacrifié.
Onze minutes de glace pour un joueur qui, à son arrivée, représentait une bouffée d’espoir et d’audace offensive. Un joueur que le directeur général Kent Hughes a choisi pour être la réponse locale au départ de Mailloux.
Un Québécois fier, rapide, avec un tir foudroyant, capable d’enflammer le Centre Bell, bref, un joueur taillé pour la scène montréalaise.
Et pourtant, St-Louis le réduit à un rôle d’ombre, coincé sur un quatrième trio avec Joe Veleno et Owen Beck, des travailleurs honnêtes, mais qui n’ont rien à voir avec son profil.
Jean-Charles Lajoie a résumé l’affaire d’un ton sec : pour lui, c'est tout simplement une honte publique que de maltraiter un tel talent québécois.
Une honte publique... et humaine...
C’est du sabotage. Tu ne peux pas demander à un gars comme Bolduc de t’offrir du jeu explosif quand tu le fais jouer onze minutes avec des plombiers. C’est comme demander à Lane Hutson de bloquer des tirs en désavantage numérique. Ça n’a pas de sens.
Et il a raison. Depuis le début de la saison, Martin St-Louis a adopté un double discours déroutant : il vante la créativité, il célèbre l’intelligence du jeu, mais dès qu’un joueur ose sortir du canevas tactique, il l’envoie dans le purgatoire.
C’est exactement ce qui arrive à Bolduc, comme c’est déjà arrivé à d’autres avant lui : St-Louis se méfie des joueurs instinctifs, ceux qu’il ne peut pas “coach de A à Z”.
Ce paradoxe ronge son vestiaire. Lajoie l’a dit sans filtre : « Martin a oublié d’où il vient. Quand il jouait, il détestait qu’un coach le tienne en laisse. Aujourd’hui, il fait exactement la même chose à Bolduc. »
Et pendant ce temps, Bolduc, lui, dépérit. À Brossard, il faisait peine à voir. En entrevue, il parlait doucement, les yeux baissés.
« C’est de l’adaptation pour moi », a-t-il soufflé. Des mots qui résonnent comme une excuse plus que comme un constat. L’adaptation, c’est une chose. Mais ici, c’est devenu une punition.
Le joueur a du talent brut, mais le système de St-Louis le noie. À Saint-Louis, il évoluait dans une structure fluide, en couverture de zone, où l’instinct et la lecture du jeu primaient. À Montréal, il se retrouve dans un man-to-man rigide, quasi militaire, qui exige des réflexes défensifs plutôt que des éclairs offensifs.
Et Martin St-Louis, au lieu de l’accompagner dans cette transition, se contente de banalités. Interrogé sur le jeu à cinq contre cinq de Bolduc, il a répondu :
« Ses détails défensifs sont meilleurs, j’ai aimé ses intentions. C’est encourageant. »
Encourageant ? Pour un coach, peut-être. Pour un joueur de 22 ans qui rêvait d’enflammer le Centre Bell, c’est un enterrement de première classe.
Pendant ce temps, les vétérans, eux, continuent d’avoir la vie belle. Josh Anderson, 16 minutes. Jake Evans, 18. Même Gallagher, qu’on disait fini, joue plus que Bolduc.
Et pire encore : St-Louis a osé dire publiquement qu’il n’avait pas trouvé le moyen d’utiliser Bolduc dans un rôle plus offensif, alors qu’il l’a placé avec deux joueurs défensifs. C’est à se demander si l’entraîneur ne cherche pas inconsciemment à justifier ses propres choix.
On dirait que Martin St-Louis veut prouver qu’il a raison avant de vouloir gagner.
Et dans le fond, cette phrase résume tout. Le coach du Canadien est obsédé par son système, par sa vision, par sa mission éducative.
Il veut transformer chaque joueur en petit soldat de sa philosophie. Sauf que la Ligue nationale, ce n’est pas une école de hockey. C’est une jungle. Et dans cette jungle, un joueur comme Bolduc doit mordre, pas réfléchir.
Le pire, c’est que le jeune Québécois essaie. Il revient, il bloque, il suit son homme. Mais tout son jeu devient cérébral, brouillon, prévisible.
On ne sent plus cette spontanéité qui faisait sa marque à Saint-Louis, où il avait conclu la saison sur une cadence de 45 buts sur 82 matchs. À Montréal, il n’a plus qu’un tir par match. Son corps bouge, mais sa tête est ailleurs.
Et c’est là que St-Louis se trompe lourdement. Parce qu’il croit que la meilleure façon de former un joueur, c’est de le freiner. Or, le hockey moderne ne se gagne pas en freinant. Il se gagne en libérant.
Kent Hughes l’a compris, lui. Il a bâti une équipe de jeunes aux talents singuliers (Demidov, Hutson, Bolduc, Kapanen, etc) et il a misé sur un entraîneur censé leur donner des ailes. Mais ce qu’on voit, match après match, c’est un coach qui les aligne, les encadre, les enferme.
Et le contraste devient douloureux à regarder. Demidov, par exemple, ne joue que douze minutes par match. Bolduc, onze. Pendant ce temps, le trio Evans-Anderson-Gallagher tourne à plein régime. On dirait que St-Louis cherche à gagner des batailles d’effort plutôt que des matchs de talent. Mais la LNH, aujourd’hui, se gagne à coups de vision, de vitesse, d’instinct.
Le problème n’est pas que Martin St-Louis n’aime pas Bolduc. Le problème, c’est qu’il ne le comprend pas. Il n’entend pas sa musique. Il veut l’accorder sur un ton qui n’est pas le sien. Et dans ce désaccord constant, c’est le joueur qui se brûle.
Jean-Charles Lajoie est cinglant.
Peut-être qu’il exagère. Mais pas tant que ça. Parce que pour la première fois depuis longtemps, on sent un fossé entre le banc et la direction. Hughes a livré à son entraîneur un diamant brut. St-Louis, lui, semble vouloir le tailler en caillou.
Et pendant ce temps, Bolduc s’efface, lentement, tristement, comme tant d’autres avant lui. Un autre Québécois qu’on aura trop vite mis dans une case.
