Martin St-Louis a l’art de manipuler les perceptions. Aujourd'hui encore, en conférence de presse, il a trouvé le moyen d’enfoncer doucement, mais méthodiquement, un clou de plus dans le cercueil de Patrik Laine à Montréal.
Sans hausser le ton, sans jamais prononcer un mot cruel, il a installé une idée précise dans la tête de tout le monde : Patrik Laine n’est plus qu’un joueur de soutien, un plombier de quatrième trio qui “fait sa job à cinq contre cinq”.
Et tout le monde a mordu à l’hameçon.
Lorsque St-Louis a été interrogé sur le rendement de Laine avec Jake Evans et Josh Anderson, sa réponse a laissé la salle bouche bée :
« Je trouve qu’il fait sa job à cinq contre cinq. C’est là que la game est jouée. »
Un phrase qui ne choque pas en apparence. Mais, dans le langage du hockey professionnel, c’est une condamnation.
Dire d’un joueur à 8,7 millions $ qu’il “fait sa job à cinq contre cinq”, c’est l’équivalent d’un verdict : il n’est plus un facteur offensif, il n’est plus une vedette, il n’est plus une solution. Il est un employé. Un rôle-player. Un figurant utile pour boucher les trous d’un trio de soutien.
St-Louis a pris soin d’ajouter : « Je suis satisfait de ce que je vois de cette ligne-là ».
Là encore, le choix des mots est calculé. Quand un entraîneur parle d’un trio en disant qu’il “fait sa job défensivement”, c’est qu’il ne marquera pas grand-chose, mais qu’il ne nuira pas non plus.
C’est exactement la catégorie dans laquelle St-Louis a placé Laine : un joueur toléré, utile à la marge, mais totalement dépouillé de son statut de buteur élite.
Il faut comprendre la portée de cette phrase dans le marché montréalais. St-Louis n’a pas besoin de critiquer ouvertement ses joueurs : il suffit d’une tournure, d’un ton, pour que tout le monde saisisse le message. En répondant ainsi, il a redéfini Laine aux yeux des journalistes, des partisans et même de ses coéquipiers.
Depuis ce moment-là, Laine n’est plus un “sniper finlandais”, mais un plombier honnête qui “fait sa job”. Le pire scénario pour un joueur qui a bâti toute sa carrière sur le prestige de son tir, sur la crainte qu’il inspirait, sur la promesse de buts spectaculaires.
Et ce n’est pas un hasard si St-Louis a glissé cette remarque juste avant le match d’ouverture à domicile, dans une conférence de presse où chaque mot est pesé. Il a envoyé un message clair : le vestiaire appartient désormais aux Suzuki, aux Caufield, aux jeunes Demidov et Hutson. Les vétérans qui ne suivent plus le rythme seront relégués sans ménagement.
Ce qui rend la scène encore plus violente, c’est la manière dont Josh Anderson a involontairement contribué à la dégradation publique de Laine.
Interrogé sur la chimie de son trio, Anderson a livré des propos cauchemardesques pour Laine :
« On essaie de lui créer des chances de marquer. Pour moi et Jake, on essaie de garder la rondelle en fond de zone, de créer des batailles et des opportunités pour Patty. »
Ces mots, prononcés sans malice, ont eu l’effet d’une confirmation. Anderson et Evans se décrivent eux-mêmes comme des travailleurs de fond de territoire, des gars qui creusent les coins de patinoire pour “donner la puck” à Laine. Le vocabulaire du plombier par excellence.
Et dans ce trio, tout le monde semble avoir accepté son rôle. Evans, soldat modèle, parle de responsabilité défensive. Anderson, lui, assume qu’il doit “travailler bas dans la zone”. Et Laine ? On n’entend rien. Il n’a rien dit, rien revendiqué. Le silence d’un joueur résigné.
Martin St-Louis sait parfaitement ce qu’il fait. Ce n’est pas une sortie impulsive, ni un message improvisé. C’est une stratégie de communication millimétrée. En “félicitant” Laine pour son travail défensif et son implication à cinq contre cinq, il a réussi à faire passer son déclin pour une réussite.
Il ne l’a pas humilié publiquement ; il l’a redéfini.
Et dans un marché comme Montréal, c’est bien pire. Car désormais, plus personne ne s’attend à voir Laine redevenir un marqueur. Plus personne ne lui demande de faire la différence. On l’évalue comme on évaluerait un quatrième-trio anonyme : a-t-il respecté le système ? a-t-il fait ses replis ?
Cette transformation de perception, St-Louis l’a réussie avec une précision chirurgicale et sans pitié. En quelques mots, il a retiré à Laine son aura de vedette et l’a intégré à la catégorie des travailleurs, là où l’effort compte plus que le talent.
Le pire, c’est que tout cela se déroule sans conflit. Ni Laine ni son agent ne protestent. L’ambiance est faussement calme. L’humiliation est douce, mais totale.
Les partisans le perçoivent déjà comme un boulet. Les journalistes le traitent comme un sujet secondaire. Et même ses coéquipiers, à force d’entendre leur entraîneur le qualifier de “plombier efficace”, finissent par l’assimiler à ce rôle.
Il n’y a plus d’exigence envers Laine. Et dans le sport professionnel, quand on cesse d’attendre quelque chose d’un joueur, c’est qu’il est déjà mort sportivement.
Depuis le début de la saison, St-Louis parle souvent d’“équilibre”. Il veut trois trios capables de “faire la job à cinq contre cinq”. Cette formule est devenue son mantra. Et c’est dans cette logique qu’il a installé Laine avec Evans et Anderson : un trio de combat, de responsabilité, de sueur.
Mais derrière ce discours se cache un calcul politique. En transformant Laine en ouvrier modèle, St-Louis s’assure deux choses :
Il retire un poids médiatique de ses épaules, en neutralisant le dossier Laine.
Il protège ses jeunes vedettes en leur laissant tout l’espace offensif.
En d’autres mots, il sacrifie Laine pour mieux encadrer sa reconstruction.
Et c’est là tout le génie, ou la cruauté, de St-Louis : il a fait de Laine un bouclier. Chaque fois qu’on parlera du quatrième trio, on parlera d’effort, pas d’échec. Chaque fois qu’on pointera ses chiffres offensifs, on dira qu’il “fait sa job défensivement”.
Dans une équipe, les mots d’un entraîneur créent la hiérarchie réelle. Ce n’est pas la fiche salariale qui dicte le respect, c’est la manière dont le coach parle de toi. Et désormais, dans le vestiaire du Canadien, tout le monde sait que Laine n’a plus d’immunité.
Quand St-Louis parle de Demidov, il évoque “la créativité, la lecture du jeu, les poches d’espace”.
Quand il parle de Hutson, il évoque “la maturité et la confiance”.
Mais quand il parle de Laine, il parle de “faire sa job”.
C’est la phrase la plus violente qu’un entraîneur puisse employer pour un joueur de talent.
Pour Laine, le pire est peut-être que personne ne s’en offusque. Ni les médias, ni ses coéquipiers, ni même lui-même. Le Canadien a réussi à transformer un ancien espoir de 40 buts en simple pièce de profondeur sans déclencher la moindre controverse.
Ce silence collectif est glaçant.
Parce qu’il dit tout : Laine n’effraie plus personne. Il ne suscite plus la colère ni la défense. Il suscite l’indifférence. Et c’est la mort sociale du joueur de talent.
Dans le fond, St-Louis n’a peut-être pas menti. À cinq contre cinq, Laine fait effectivement sa job. Il se replace, il bloque un tir, il coupe une passe. Mais quand on a bâti toute sa carrière sur le spectaculaire, sur la promesse de buts impossibles, “faire sa job” revient à ne plus exister.
Ce n’est pas seulement une stratégie d’entraîneur ; c’est une mise à mort symbolique. Une manière de dire à tout le monde que Laine est maintenant interchangeable, remplaçable, oubliable.
Et dans une ligue où la perception vaut autant que les statistiques, Martin St-Louis vient d’achever ce que les défaites n’avaient pas encore réussi à détruire : la réputation de Patrik Laine.