Tout le monde se souvient de cette scène au Québec.
Car ce genre de moment change une vie. Celle où Marc Gagnon, joué par Marc Messier, embrasse la cicatrice au sein de Suzy Lambert (Marina Orsini) dans Lance et compte: la Reconquête appartient à cette catégorie.
On l’a tous vue, on l’a tous ressentie. Mais derrière l’émotion télévisuelle se cache une histoire plus grande encore : la rencontre de Réjean Tremblay avec Julie Bertrand, devenue depuis sa femme.
Cet extrait vidéo nous donne les larmes aux yeux:
Lorsque l’équipe de Lance et compte décide de faire vivre à Suzy Lambert l’épreuve d’un cancer du sein, Réjean Tremblay refuse l’approximation.
Il veut la vérité vécue, la douleur, les hésitations, la dignité, pour que la fiction ne trahisse pas la réalité des femmes qui traversent cette tempête.
Il explique :
« Je voulais avoir deux modèles. Parce que comme auteur dramatique, si tu as un seul modèle, ça peut être teinté. »
Ces « deux modèles », ce seront donc Danielle Simard, femme de Mario Cecchinni, président de la LHJMQ et Julie Bertrand, maintenant la femme de Réjean Tremblay.
Et tout de suite, les parcours divergent, révélant la variété des manières d’affronter l’épreuve.
Tremblay raconte :
« Danielle, avant même de commencer la chimiothérapie, elle s’est achetée une perruque blonde. Elle ne voulait pas que ses enfants, ses filles la voit malade. Julie, elle, quand elle a vu qu’elle commençait à perdre ses cheveux, elle a tout rasé. »
Ce souci de justesse se traduit jusque dans les objets du quotidien :
« C’est elle (Julie) qui a prêté ces capsules de médicaments qu’on voit dans la main de Marina Orsini. Et le foulard que Suzy a, je pense que c’est Julie qui lui a donné ça. »
La fiction s’invite alors dans la réalité ; elle se nourrit des détails vrais, de ces gestes minuscules qui deviennent, à l’écran, des preuves de vie.
Au cœur du récit, il y a une demande que l’on n’oublie pas. Tremblay l’énonce ainsi :
« Julie m’avait demandé une drôle d’affaire. Elle dit : “Réjean, moi, je t’ai aidé sur tout. Il y a une scène où je veux être là, et je veux que ce soit moi.” »:
La scène en question ? Celle où une femme, après une ablation, montre à son mari « ce qu’il reste ». Tremblay est d’une franchise qui nous a touché droit au coeur :
« L’ablation complète du sein, il reste une immense cicatrice. À un moment donné, tu veux faire l’amour… tu ne peux pas toujours faire l’amour avec un tee-shirt et un bandeau. »
L’intention est posée : montrer sans voyeurisme, filmer sans mentir, dire l’amour par un geste.
Mais la réalité, une fois encore, impose son propre scénario. Entre-temps, Julie a subi une reconstruction. À la veille du tournage, on l’avertit : « Son sein est bien trop beau. »
Pour que la scène garde sa vérité médicale, Tremblay sollicite l’oncologue qui l’accompagne dans l’écriture :
« On le sait pas pourquoi, mais 75 pour cent des cancers du sein, c’est du sein droit. »
Mais dans Lance et Compte, c'était le sein gauche de Suzy.
Il rapporte ainsi la formulation de la médecin. L’oncologue retrouve alors une patiente prête à participer. La scène peut exister, intacte, fidèle.
La scène a été tournée dans une chambre recréée à l’hôtel Méridien. Marina Orsini est d’abord filmée de face, éclairée, pour capter son émotion : on ne voit que son visage et ses épaules.
Quand vient le moment de montrer le torse opéré, Marina sort du cadre et cette patiente réelle, ayant subi une ablation du sein, prend sa place sur le lit, exactement au même endroit.
La caméra ne dévoile pas le visage de la patiente : elle cadre le buste et la cicatrice, pour préserver son intimité. Marc Messier, déjà en place, joue la continuité de la scène comme si c’était toujours Suzy : il pose son regard, ne trahit aucune surprise, puis se penche et embrasse doucement la cicatrice.
Cette chorégraphie très précise (éclairage constant, même axe de caméra, relais au centimètre près) permet d’allier vérité médicale, respect des personnes et puissance dramatique, tout en donnant au public l’impression d’une seule et même action ininterrompue.
Une scène qui donne des frissons tellement c'est proche de la réalité:
« À la caméra, c’est les yeux de Marina, puis les yeux de Marc Messier. La caméra baisse un peu. Puis là, le réalisateur dit “Cut”. Et là, la madame, elle a rencontré Marc Messier, elle l’a vu à peu près dix secondes avant. Et là, c’est elle qui prend place. Action. »
Imaginez.
Il faut que le regard de Messier ne change pas :
« Et il faut qu’il lui embrasse la cicatrice. Et là, toute la dévotion du geste d'amour… même Marina avaient les yeux complètement chavirés. »
On comprend pourquoi cette minute de télévision a brûlé la mémoire collective : le jeu devient un acte d’humanité, l’amour dit l’essentiel sans un mot.
Cette obstination à « faire vrai » a le don de rapprocher les êtres. À force de se parler, de se comprendre, d’aborder les angles les plus délicats avec respect, Julie Bertrand et Réjean Tremblay se trouvent.
Et l’auteur ne s’en cache pas :
« La plus grosse prime à l’auteur de Lance et compte, c’était de marier Julie Bertrand. C’est clair. »
Il ajoute, presque amusé par le destin :
« Et ça, il n’y avait pas d’impôt là-dessus. »
« Pendant un an, j’ai travaillé avec elle et il n’y a jamais eu un soupçon.»
La réalité ne s’imite pas : elle s’écoute. Tremblay l’a compris dès le départ :
On ne fabrique pas une scène comme celle-là sans un réseau d’alliés. Le récit de Tremblay est précis :
« J’avais son cellulaire (à la médecin). Elle avait déménagé, elle était rendue dans le bout de Matane, à l’hôpital de Matane, je pense, comme oncologue. »
La médecin rappelle, vérifie, rassure, trouve la patiente et obtient son accord. Le reste est affaire de mise en place, de lumière, de silence.
Un X au sol, une robe de chambre blanche, un regard qui ne fuit pas. Et tout à coup, ce n’est plus la télévision : c’est un rituel de reconnaissance, l’acceptation d’un corps blessé, le choix d’aimer plus fort.
Que reste-t-il, des années plus tard ? Une scène historique, et une femme qui, loin d’être cantonnée au rôle de « source » ou de « conseillère de l’ombre », a poursuivi sa trajectoire avec la même énergie, la même rigueur.
Julie Bertrand est aujourd’hui une productrice respectée, une décideuse qui a fait sa place dans l’univers exigeant de la boxe professionnelle, copropriétaire de Punching Grace, aux commandes de documentaires, proche des athlètes, des entraîneurs, des promoteurs, et des histoires humaines qui font battre ce sport.
Ce que raconte l’histoire de Réjean et Julie, c’est une éthique : écouter, documenter, ne jamais trahir. C’est une esthétique : refuser les raccourcis, préférer la nuance.
C’est une leçon : la télévision peut consoler, si elle regarde en face.
En revoyant la séquence, on sait désormais ce qui se jouait derrière la caméra. Une patiente, courageuse. Une comédienne, totalement investie. Un acteur, d’une sensibilité absolue. Une équipe, à l’écoute. Et un auteur qui a compris que le réalisme est la condition de l’émotion juste.
Tout est là dans une seule réplique :
« Le symbole du geste, c’est “Je te trouve belle”. »
Cette phrase, c’est l’axe de la scène, et c’est aussi la boussole d’un couple. Elle dit l’amour au-delà de la blessure, la dignité au-delà de la peur, le futur au-delà du choc. Elle explique, mieux que tout, comment une minute de télévision a pu accoucher d’une histoire d’amour.
Julie Bertrand, aujourd’hui, c’est une professionnelle accomplie, une femme de tête, une alliée des combattants, une productrice qui sait raconter sans trahir.
Et c’est, surtout, la preuve vivante que la télévision peut encore changer des destins quand elle s’autorise la vérité des gens.