Tristesse pour Serge Savard: le Québec pense à lui

Tristesse pour Serge Savard: le Québec pense à lui

Par David Garel le 2025-09-06

Serge Savard, le « Sénateur », ce monument du Canadien de Montréal, traverse une épreuve que même ses années de gloire et son armure de capitaine ne peuvent atténuer.

Plus d'un an après avoir perdu l’amour de sa vie, Paulette, sa compagne de toujours, il doit maintenant affronter une deuxième tragédie : la mort de son grand ami et ancien coéquipier Ken Dryden.

C’est une double déchirure qui le frappe de plein fouet, et cette fois, l’homme fort laisse transparaître toute sa vulnérabilité.

Savard l’a dit lui-même : il est « estomaqué ». Lui qui parlait chaque semaine à Dryden, qui le voyait encore aux événements, qui l’avait côtoyé lors de la Coupe des Quatre Nations à Montréal et dans l’organisation des célébrations de la Série du siècle de 1972, n’avait jamais rien soupçonné.

Ken Dryden se battait contre un cancer depuis deux ans. Il n’avait rien laissé paraître. Pas un signe, pas une confidence, même à ses plus proches.

Serge Savard a appris la nouvelle de la bouche de l’épouse de Dryden, la veille de son décès. Une gifle, brutale.

« C’est un choc pour nous tous », a-t-il résumé, incapable de cacher l’abattement.

Deux pertes, une même douleur.

Comment ne pas lier ce deuil inattendu à celui, encore brûlant, de Paulette? Savard avait confié récemment à Roger Brulotte qu’il vivait désormais une solitude indescriptible.

Après 57 ans de mariage, il se retrouvait seul dans une maison trop grande, vidé de cette chaleur qui l’avait toujours accompagné. Il avait dit :

« La tristesse que je ressens à cause du décès de Paulette est une douleur indescriptible. »

Aujourd’hui, cette douleur se redouble. La disparition de Dryden vient accentuer ce gouffre intérieur. En quelques mois, Serge Savard a perdu son point d’ancrage et son frère d’armes.

Avec Dryden, Savard partageait bien plus que la glace. Ils ont remporté ensemble sept coupes Stanley. Ils se sont retrouvés côte à côte dans des moments historiques : la dynastie des années 1970, la Série du siècle, les célébrations anniversaires qui les ramenaient à leurs gloires communes.

Savard racontait que Dryden était un « extra-terrestre » en arrivant dans le vestiaire, avec ses livres sous le bras, son éducation universitaire, sa vision du monde différente. Mais cet « extra-terrestre » est devenu un pilier. Et surtout, un ami.

Savard a tenu à rappeler que Dryden n’était pas qu’un gardien mythique. Il était un intellectuel, un auteur, un homme politique, un militant de l’environnement avant l’heure.

« C’est un être extraordinaire, qui a voulu faire une différence dans la vie de tout le monde », a dit Savard. Dryden avait appris le français dès sa première année à Montréal, par respect, par volonté de s’intégrer.

Il avait écrit The Game, que Savard considère comme « le meilleur livre sur le hockey jamais écrit ». Et surtout, il avait toujours cette capacité d’être présent pour ses proches, jusque dans les tournois de golf de Savard.

Le poids du vide est devenu invivable.

Les souvenirs se bousculent.

« La dernière fois que j’ai passé quelques jours avec lui, c’était au cours de la Coupe des Quatre Nations, et il ne donnait aucun signe de malaise », raconte Savard.

Rien ne laissait présager qu’il vivait une bataille secrète.

« On se parlait chaque semaine. Il est venu à mes tournois de golf ici, où j’ai rendu hommage à la Coupe Canada 72 et aux quatre Coupes Stanley consécutives. Alors, il était réellement présent. »

Et puis, il y a l’admiration intacte.

« C’est un gars qui a fait sa marque, c’est un être extraordinaire, qui a été un athlète extraordinaire, puis qui a été un être extraordinaire en dehors de la patinoire. »

Les mots coulent avec sincérité, sans filtre, parce qu’ils viennent du cœur d’un ami.

« S’il y en a un qui a fait des efforts pour s’intégrer ici, c’est bien lui. Dès la première année, il était capable de faire des entrevues en français. C’est tout en son honneur. »

Savard se revoit encore à l’époque où Dryden débarquait au vestiaire, ses livres sous le bras.

« On n’était pas habitués de voir des gars qui arrivaient directement de l’université. C’était comme un extra-terrestre qui arrivait dans notre vestiaire. On le regardait et on disait : “Je ne suis pas sûr qu’il va réussir.” »

Et pourtant, Dryden est devenu une légende... et un frère.

Mais aujourd’hui, Serge Savard se retrouve seul. L’épouse partie. L’ami emporté. Le vestiaire d’antan qui se vide inexorablement. La génération des héros de 1976-79 s’efface, et chaque disparition lui rappelle à quel point le temps n’épargne rien.

Derrière l’ancien capitaine, le directeur général, le gagnant, il y a un homme qui souffre, qui avoue lui-même que son quotidien est lourd, silencieux, marqué par l’absence.

« On oublie souvent que derrière la légende, il y a un homme », écrivait-on de lui. Aujourd’hui, cet homme est nu, à découvert, sans sa carapace.

Le CH ne l’a pas oublié. Lors du tournoi des Quatre Nations, il a été invité pour donner la mise au jeu protocolaire, pour remettre le prix du joueur du match.

C’était un geste symbolique, une main tendue. Geoff Molson et l’organisation voulaient lui rappeler qu’il n’était pas seul.

Mais même entouré, même célébré, la solitude ne disparaît pas. Elle s’installe, tenace, implacable. Et la perte de Dryden ne fait que creuser davantage cette plaie.

Serge Savard traverse peut-être l’une des périodes les plus sombres de son existence. Lui qui a tant donné au Canadien, qui a incarné l’esprit d’équipe, la solidarité, la fierté, se retrouve aujourd’hui confronté à l’isolement.

Il doit faire le deuil de deux pierres angulaires : sa femme et son frère d’armes. On dit souvent que les légendes sont immortelles.

Mais les légendes, elles aussi, portent un cœur. Et celui de Serge Savard est lourd, trop lourd. Son témoignage, rempli de douleur et d’émotion, nous rappelle que derrière le « Sénateur », il y a un homme qui souffre.

Et cette souffrance, infinie, fait peine à entendre.

Serge Savard n’est pas seulement une légende du Canadien. Il est le miroir de ce que nous redoutons tous : perdre ceux qui nous définissent.

Et c’est pourquoi son chagrin nous bouleverse autant. Car derrière le capitaine, derrière le bâtisseur, il reste un homme qui avance, seul, dans une tristesse infinie.

Le Québec pense à lui...